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La nouvelle orthographe en fête...par
Benoit WAUTELET,
maitre-assistant à la Haute École Louvain-en-Hainaut, ex Haute École Roi Baudouin,
département pédagogique,
chargé de la formation des futurs enseignants ;
article paru dans La Libre Belgique du 20/03/2009, publié ici avec la permission de l'auteur.
Les Anciens et les Modernes se déchirent au sujet de la pertinence de la nouvelle orthographe. Preuve que la langue française reste passionnément aimée, exercée et défendue.
Alain Rey, la voix du sage
Les règles de la nouvelle orthographe
La Communauté française a opportunément profité de la semaine "La langue française en fête" pour lancer une opération publicitaire au sujet de la nouvelle orthographe. Les éditions électroniques de certains grands groupes de la presse francophone sont proposées dans deux versions : en orthographe rectifiée ou en orthographe standard. Un bouton nommé RECTO/VERSO permet de basculer d'une version à l'autre. Les réactions ne se sont pas fait attendre. De "La langue française en fête", nous sommes bien vite passés à "On va lui faire sa fête, à la langue française".
Comme à l'accoutumée, les Anciens et les Modernes se déchirent au sujet de la pertinence de la nouvelle orthographe. Preuve que le sujet est sensible et que la langue française (au singulier ? étrange !) reste passionnément aimée, exercée et défendue. Qui bene amat.
Je ne rentrerai pas dans la querelle opposant deux visions radicalement différentes de la langue. Le débat serait vain, et je suis pour l'application de l'orthographe réformée. Par contre, je donnerai mon regard de jeune enseignant en Haute École. Et on peut être pour la nouvelle orthographe, et contre certains éléments qui se passent ces temps-ci.
Contre la désinformation au sujet de la nouvelle orthographe. Lundi dernier, les deux journaux télévisés les plus regardés en Belgique francophone, RTBF et RTL TVi, ont particulièrement mal traité le sujet. L'un a survolé la question en affirmant des banalités ; l'autre l'a davantage creusé, mais en commettant des erreurs, à mes yeux, graves. En effet, présentant le sujet, la présentatrice affirme que "les accents circonflexes disparaissent". Faux ! Les accents circonflexes ne disparaissent que sur i et u (sauf pour éviter les cas d'homographie). Dire cela, c'est prendre le risque de braquer le public, mal informé sur le sujet. Âne, âme et forêt gardent leur accent. Maitre et connaitre le perdent. Autre exemple d'erreurs préjudiciables dans la presse écrite : une gazette très courue intitule un article "Nouvelle ortographe : qu'est-ce qui change ?". En nouvelle orthographe (avec h et sans hache), les th, ph, sont conservés. Nouvelle orthographe n'est pas synonyme (loin de là !) d'ortograf fonétic". Commettre des erreurs aussi grossières, c'est désinformer le public, lui donner de mauvais exemples sur lesquels réfléchir et, au final, le braquer. Sensibiliser le grand public par des actions d'envergure, comme cette semaine, est une excellente initiative. Il s'agit cependant de sensibiliser de manière adéquate, sans donner de faux exemples et surtout travailler dans la durée.
Contre l'imprécision des textes : la circulaire, datée de septembre 2008, envoyée à toutes les écoles de tous les niveaux de l'enseignement, stipule que "les graphies rénovées doivent être enseignées en priorité". C'est-à-dire ? Moi-même enseignant, formateur de futurs instituteurs primaires, je suis profondément interpellé par cette phrase. Je pense que les instituteurs et professeurs actuels ne sont plus des enseignants à proprement parler, mais des "appreneurs" (c'est le sens des actuels programmes). Enseigner en priorité les graphies rénovées. Que signifie "en priorité" ? Dois-je les enseigner à mes étudiants dans un premier temps, puis leur apprendre les graphies traditionnelles ? Dois-je leur expliquer la réforme et leur laisser le choix par la suite ? Je l'ignore, et je m'interroge encore, sept mois après avoir reçu le texte. La plupart des enseignants que je croise dans le cadre de mon métier se posent les mêmes questions et ne propageront pas la réforme tant que les textes ne clarifieront pas la situation. Autre réflexion étrange du texte de la circulaire : préciser que cette tâche incombe aux professeurs de français. Ah bon ? L'apprentissage de la norme orthographique ne serait que le travail du prof de français, et pas du prof de physique, de math ou d'éveil. Encore un cliché éculé qui a la peau dure. L'orthographe est l'affaire de tous. Déjà, ce n'est pas toujours simple en délibération ou en salle des profs de faire accepter cela, et maintenant les textes vont à contre-sens. De plus, c'est créer une confusion : un élève pourrait utiliser une orthographe dans un cours et employer l'autre dans les autres cours ? C'est également risquer de désengager les professeurs de branches autres que le français. Le texte dit clairement que ce travail échoit aux régents littéraires et aux romanistes, les autres s'en laveront-ils les mains, comme des Ponce Pilate de l'orthographe ?
Contre l'absence d'accompagnement méthodologique des enseignants : la Communauté française a envoyé une circulaire à toutes les directions avec quelques exemplaires d'une brochure noire (la couleur des faire-part) reprenant les sept règles qu'elle souhaiterait voir mises en œuvre au sein des écoles. Cette nouvelle est tombée sur les enseignants et les directions sans consultation préalable. Beaucoup n'ont pas encore ouvert la brochure La question que je me pose en tant que "didacticien" est "comment apprendre ces règles aux enfants déjà scolarisés en ancienne orthographe ?" Le risque est grand de créer chez les moins armés d'entre eux des confusions insolubles avec le temps. Il faut également se rendre compte que certaines règles n'ont pas à être apprises aux enfants. Une des sept règles qui nous occupent indique que les mots d'origine étrangère prennent désormais des accents ; et la brochure de nous donner plusieurs exemples (pédigrée, révolver). Fantastique, voilà quelque chose de raisonnable et de parfaitement pensé. Mais, exemple vécu, à quoi cela sert-il d'apprendre cette règle aux enfants, qui n'ont aucune conscience de ce qu'est un mot d'origine étrangère, puisqu'ils ne connaissent pas encore d'autres langues (ou si peu). La brochure récapitulative devrait être accompagnée d'un guide méthodologique à l'usage des enseignants, trop démunis face à cette réforme.
Contre la commercialisation de la nouvelle orthographe : un éditeur belge s'épanche ces temps-ci dans la presse francophone (également dans la revue "Prof") pour demander que la Communauté française précise son texte et contraigne à l'emploi d'une seule orthographe afin de clarifier les choses. Je ne peux que souscrire à cette demande. Ce à quoi je ne souscris pas, c'est la justification de cette demande. Les éditeurs ne savent pas quelle orthographe utiliser, par peur de ne plus vendre leurs manuels, marché juteux de l'édition. En effet, certains enseignants affirment qu'ils n'achèteraient plus (et surtout ne feraient plus acheter !) de manuels rédigés dans une orthographe dans laquelle ils ne se reconnaitraient pas. Raison économique donc. J'estime que la seule justification possible à une demande de précision des textes et de "légifération" contraignante est le souci pédagogique. Quelle orthographe, quelle méthodologie employer pour le bien des enfants, sans perdre le caractère historique de l'orthographe française ?
La nouvelle orthographe ne va pas chambouler l'orthographe. En moyenne, ce n'est qu'un mot par face qui est ainsi "réformé". Et puis, croyez-vous vraiment que l'orthographe n'a jamais changé depuis Voltaire ? Des réajustements sont opérés régulièrement, portant sur des variations minimes. Contrairement à une idée répandue, l'orthographe est relative. Certains mots peuvent s'écrire de deux manières différentes (clé/clef), certains accords peuvent se faire ou ne pas se faire (sans problème/sans problèmes), et les dictionnaires les plus utilisés ne sont pas toujours d'accord entre eux. Le débat, par contre, est encourageant, preuve que la langue française est défendue avec vigueur et a de beaux jours devant elle.
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