IV . après le 14e siècle... |
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La séquence précédente nous a montré que 1302 a été une double victoire des klauwaerts qui n'étaient pas tous flamands contre des léliaerts qui comprenaient des flamands et qu'aucun combat de 1304 à 1385 n'a réitéré la victoire des flamands. Et 1385 a réuni sur une même tête unique les titre de roi de France, comte de Flandre et auquel toute la Flandre fit allégeance... un juste retour à la case de départ...
Ces victoires que d'aucuns appellent victoire de Français contre des Français, de Flamands contre des Flamands, de Belges contre des Belges... sans que personne ne puisse leur donner tort, ni raison d'ailleurs, n'a pas fait histoire. Les seuls qui aient fait une appellation correcte de ces victoires sont ceux qui ont annoncé la victoire des klauwaerts contre les léliaerts sans faire aucune allusion à l'aspect linguistique de ces victoires. Évènement tombé dans l'oubli de tous, compte tenu du peu d'incidence historique qu'il a eu. Et pourtant, 1302 est devenu le symbole des Flamands... pourquoi ?
Parce que les populations flamandes avaient petit à petit perdu tout contact avec les milieux cultivés. Que ceci ne soit pas considéré comme une dévalorisation des Flamands ni de leur langue, mais rappelons qui ils étaient depuis le XIVe siècle : petit peuple (ouvriers, paysans, domestiques) nombreux à l'époque mais qui parle un patois flamand face à une population dont le français est la langue d'enseignement public, la langue des salons bourgeois et aristocratiques. Un groupe d'érudits va naitre de cette population, érudits qui seront souvent d'origine mixte. Parmi eux, Henri Conscience.
Henri Conscience est né à Anvers (Antwerpen) en 1812 d'un père français natif de Besançon. Sous Napoléon Bonaparte, son père fut nommé sous-directeur du port d'Anvers en 1811 quand la ville était française. À 17 ans, Henri quitte la maison familiale puis s'engage dans une armée qui s'appelle la "nouvelle armée belge" (rappelons que l'indépendance de la Belgique date de 1830). Henri, dont les premiers débuts avaient été des poésies françaises, était cependant trop dévoué à son pays pour ne pas s’associer avec ardeur à cette petite insurrection nationale. Si la croisade flamande n’atteste pas une très sérieuse intelligence des choses politiques, elle est digne d’intérêt au point de vue de l’art, et je ne m’étonne pas que de tendres et poétiques natures se soient enrôlées sous ses drapeaux. Henri se retrouva ainsi parmi les Flamands de toutes les classes sociales et observa de près leurs habitudes mentales. Le jeune homme décida alors d'écrire dans la langue méprisée du pays, le flamand, un idiome considéré alors comme trop paysan pour être parlé et surtout écrit par les francophones qui formaient, en Flandre, la bourgeoisie. Devenu Hendrik Conscience, il est "celui qui a inventé les grands symboles de la Flandre : le Vlaamse Leeuw et toute la mythologie de la bataille des Éperons d’or", d'après la Libre du 10 janvier 2013.
N'oublions pas que l'indépendance de la Belgique est issue d'une révolution contre les hollandais qui avaient exigé la langue hollandaise aux tribunaux, aux administrations publiques, à tous les actes officiels de la vie sociale dans le royaume des Pays-Bas... on comprendra dès lors qu'après la révolution de septembre 1830, tous les nouveaux citoyens belges eurent une réaction contre l’idiome des anciens dominateurs hollandais. Le flamand, si peu différent de la langue hollandaise, fut sacrifié avec elle, et le français prit sa place.
Henri Conscience se rendit compte que la nouvelle division territoriale allait créer un créneau, les conditions d'une éclosion dans une langue qu'il décrivit comme romantique, mystérieuse, profonde, énergique même sauvage. « Si je parviens à écrire, je me jetterai à corps perdu dans la composition flamande ». C'est sous le patronnat de Léopold Ier qu'il écrivit son troisième roman dit " Le Lion des Flandres " ou plus exactement " De Leeuw van Vlaenderen ", après une série de poèmes en français. Son père trouva tellement choquant le fait que son fils écrive un livre en flamand qu'il le jeta dehors.
Henri était-il un flamingant avant l'heure ? Qui s'est intéressé à la vie d'Henri Conscience sait qu'il veut exalter le patriotisme envers ce nouveau pays qui vient de naitre et défendre en même temps la vieille religion du pays, en opposition au protestantisme des Hollandais. Pour y arriver, il choisit dans notre histoire nationale, des époques où les conquérants de la Flandre sont aussi les soldats du catholicisme et son avant-garde la plus résolue contre les ennemis du saint-siège. C'est déjà ce qui apparait dans son premier roman 'Wonderjaer' (L'année des miracles).
Son troisième roman " De Leeuw van Vlaenderen " est le surnom du comte Robert de Béthune qui s’illustra au XIIIe siècle par son courage et sa témérité chevaleresque, fils de Guy de Dampierre, comte de Flandre et l’un des vassaux du roi de France, personnage auquel nous avons déjà fait allusion ici. Rappelons que dans la querelle d’Édouard Ier (roi d'Angleterre de 1272 à 1307) et de Philippe-le-Bel (roi de France de 1285 à 1314), Guy de Dampierre prit parti pour les Anglais, et forma avec Adolphe de Nassau (empereur romain germanique de 1292 à 1298), avec les ducs de Lorraine et de Bourgogne, une ligue terrible contre son suzerain le roi de France. Philippe-le-Bel envahit la Flandre, accompagné de Charles de Valois, son frère, et de Robert d’Artois, son cousin. Les Flamands furent vaincus, et les troupes françaises occupèrent tout le pays... jusqu'en 1302.
Ce sont probablement ces gestes-là, cet héroïsme national, ce courage et cette témérité tant louangés, qui firent de Hendrik, lors d'un congrès flamingant (au début de 1841), un auteur dont les écrits furent comparés à une graine pour une littérature de type national. Aussi les nationalistes flamands encouragèrent-ils leur circulation. Cette verve flamande s'estompe peu à peu envers notre Hendrik de père français, mais le lion de 1302 et deux victoires restent un symbole national.
Luc Beyer, journaliste et écrivain, ancien présentateur du journal télévisé de la RTBF, ancien parlementaire européen, Luc Beyer de Ryke, francophone de Gand, a consacré plusieurs de ses ouvrages à la Belgique. Il affirme même que "Le livre a obtenu un très vif succès et il est devenu emblématique pour le nationalisme flamand. Mais Hendrik Conscience, qui a participé à la révolution de 1830, ne voulait pas la destruction de la Belgique. D’ailleurs, Léopold 1er lui accordera des subsides, il sera décoré et on lui fera des funérailles nationales." et d'ajouter "Toute une lignée de prêtres, vicaires du plat pays, s’est sentie proche du petit peuple qui est flamand."
Nous sommes donc en droit de penser que c'est plus par l'exploitation de son livre par des flamingants que la bataille de Courtrai a pris son symbole actuel et, comme Luc Beyer que "La bataille des Éperons d’or se retrouve à toutes les étapes du mouvement flamand, d’une manière fasciste, d’une manière national-socialiste mais aussi d’une manière démocratique, parce que, aujourd’hui, la fête de la communauté flamande, c’est le 11 juillet !", mais ceci est une autre histoire que celle de 1302.
Le mouvement flamand est né d'une réaction flamande au fait qu'en 1830, à partir de son indépendance, la Belgique était considérée comme un état unilingue francophone, car les classes dominantes, tant en Flandre qu'en Wallonie, parlaient le français, que la vie publique en Flandre était donc dominée par le français (dans la politique, la justice, l'enseignement supérieur, l'armée, etc.) et que la connaissance ou non du français constituait une sorte de barrière sociale. Les lecteurs intéressés par ce mouvement flamand peuvent en savoir plus en lisant http://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_flamand.
source: http://www.innovation-democratique.org/Dangereux-demons.html