2. 1302... |
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Rappelons ici que depuis des années déjà (vers le milieu du XIe sièle, selon le vicomte Charles Terlinden, docteur en droit, docteur en histoire, et docteur en sciences politiques et sociales, chargé de cours dès 1907, puis professeur à l'université de Louvain, occupant de 1918 à 1952 les chaires d'histoire moderne et d'histoire contemporaine), l'industrie textile faisait la prospérité d'une province du Nord du royaume de France, appelée la Flandre. Le textile se développe grâce au commerce de la laine que la Flandre fait venir essentiellement d'Angleterre. Bruges avait alors l'exclusivité de l'importation de la laine de moutons.
Rappelons aussi que ce développement remarquable du commerce entre la Flandre et son partenaire anglais n'était pas pour plaire à l'autorité centrale française. Le roi de France, Philippe le Bel, faché de l'ombre portée par la Flandre à la toute puisante France depuis plus de deux siècles, se décida de réagir en mai 1302. Il envoie un délégué et une garnison française d'environ 200 hommes dans sa province du Nord, en espérant tirer profit et augmenter son contrôle sur ce juteux commerce... ce qui ne plut pas aux tisserands flamands du Nord... mais convenait très bien aux riches commerçants flamands du Nord (entre autres les drapiers) qui échapperaient à la 'sanction royale'.
Et, pour mieux saisir la géographie de l'époque voyons quel territoire était sous la dénomination "Flandre" étendue de Douai (=Dowaai) à Antwerpen et de Sluis à bien au-delà de Dunquerque (=Duinkerken), y compris Tournai (=Doornik) et Lille (=Rijsel). Considérez que "Gr." signifie "comte" ou "comté", comme " 's Gravenbrakel" se traduit par "Braine-le-Comte" pour ceux qui continuent à préférer employer une langue non locale.
Le délégué français et sa garnison dormaient chez l'habitant à Bruges, sur l'ordre de Jacques Chatillon, gouverneur de Flandre, nommé par Philippe le Bel. D'autres sources historiques prétendent que les soldats étaient hébergés au château de Male [si le village de Male ne semble plus exister, un quartier à l'est de Bruges est connu sous le nom de "Male", à Sint-Kruis où existe encore une abbaye... donc rien à voir avec Malle, à l'est d'Antwerpen, où se brasse la renommée bière trappiste "tripel Westmalle"[1]]... peu importe. Le bourg servait principalement comme résidence des comtes de Flandre. Pendant l'occupation française, des soldats français (forcément) y étaient casernés.
La nuit du 18 mai 1302, au petit matin (l'heure de la prière des "mâtines", c'est-à-dire avant le lever du soleil), les artisans flamands de Bruges, sous la direction de Pierre De Coninck [la traduction en français du nom de ce tisserand brugeois (le roy), arrivé aux oreilles de Philippe le Bel ne fut pas sans lui faire craindre que sa province du Nord s'était proclamé un nouveau roi] et Jean Breydel, ratissent toutes les maisons où dorment les soldats de la garnison française et pour se rassurer que leurs victimes soient bien françaises, leur demandent de répéter la célèbre phrase flamande : "schild en vriend" que nos amis français étaient incapables de répéter correctement (nos amis belges wallons sont à peine capables de faire mieux...) et par là, signaient leur arrêt de mort. Selon certains historiens purement français, la question était plus banale : "des gilden vriend?", à savoir "ami des guildes ?"... peu importe.
Ainsi, la garnison française fut massacrée sauvagement encore au lit et, dans la foulée, les rebelles flamands en profitent pour exécuter d'autres flamands, les bourgeois favorables au pouvoir français. On parle de 1600 à 2000 victimes pour les 200 soldats de la garnison...
Il s'agit donc bien d'une victoire de certains rebelles flamands ouvriers, égorgeurs et lâches, contre l'autorité de France et leurs pairs flamands favorables à cette autorité française.
Après les « Mâtines brugeoises » les rebelles flamands tenaient toute la province de Flandre, sauf deux places fortes importantes, Cassel et Courtrai.
Gui de Dampierre, comte de Flandre, qui avait pris le parti des tisserands, foulons et autres drapiers, a été emprisonné à Paris.
Furieux de sa défaite lors des mâtines de Bruges, Philippe le Bel, le souverain français, réunit ses chevaliers et décide de punir cette Flandre récalcitrante. Près de 50 000 cavaliers et fantassins sont envoyés aux alentours de Courtrai. Tous Français ? Pas du tout.
On retrouve parmi ces "leliaerts" (les hommes du lys), outre les Français, le comte de Hainaut Jean d'Avesnes à la tête de troupes hennuyères, qui a une dent contre les Dampierre, le duc Godefroid de Brabant à la tête de nombreux Brabançons, qui n'est ni plus ni moins flamand que les dynastes flandriens mais voit dans la France un contrepoids face à l'Empire.
Face à eux, une armée d'environ 25 000 hommes, prétendus rebelles flamands, donc du petit peuple. Tous Flamands et ouvriers ? Pas du tout.
On retrouve dans ces rangs de "klauwaerts" (les hommes de la griffe du lion) de nombreux Brabançons aussi (sous les ordres de Jean de Cuyck et de Goswin de Goidsenhoven ou Gossoncour), des Namurois (Guy et Jean de Namur, fils de Gui de Dampierre, comte de Flandre et de Namur), des Liégeois de Looz (sous les ordres d'Henri de Petershem), des Zélandais, les inévitables Anglais et un corps de Luxembourgeois (sous les ordres de Henri de Lonchin). À côté de ce petit peuple, on découvre un nombre impressionnant de nobles flamands : parmi ces gentilshommes flamands, Messire Baudouin de Poperode, les de Meerendre, de Lichtervelde, de Waesberghe, de Raverschoot, de Belleghem... Il faudrait des pages entières pour les citer tous... Les troupes sont confiées au commandement du Flamand Pierre de Coninck, de Guy de Namur et de l'archidiacre de Liège, Guillaume de Juliers, petit-fils de Guy de Dampierre. "Une bataille qui n'est pas linguistiquement homogène", explique le professeur Vincent Dujardin (UCL).
Selon les sources flamandes, la tactique "flamande" ou mieux, celle des "klauwaerts" est simple, selon Guillaume de Bonem, templier : comme Hannibal en 216 avant J.C., à la bataille de Cannes face aux légions romaines, il faut laisser volontairement enfoncer le centre des forces pour, après la ruée désordonnée de l'ennemi, les prendre en tenailles avec les ailes gauche et droite. Et connaissant le terrain local, il s'agit d'amener les chevaliers français et leurs lourdes armures dans les prairies boueuses bordant la ville. Les Klauwaerts attendent donc les Leliaerts dans la plaine de Groeninghe, aux portes de la ville de Courtrai, adossés au château, sur un terrain marécageux et bordé de fossés.
Les montures françaises s'engouffrent dans le piège et s'embourbent dans les marécages. Sans aucune pitié, leurs adversaires s'empressent de les massacrer, ramassant au passage leurs éperons dorés qu'ils emportent comme trophées et qui ont donné le nom à la bataille.
Les armes utilisées ?
* Du côté "klauwaerts", rien d'autre que des fantassins armés de "goedendag", lance lourde hérissée d'une pointe métallique. Selon d'autres sources historiques, une arme qui aurait été apportée d'Orient par les Templiers, le "goedendag" était une boule de bois hérissée de pointes de fer, reliée à un bâton de bois par une chaîne ou une lanière de cuir, arme d'une efficacité redoutable.
* Du côté "leliaerts", essentiellement des cavaliers, lourdement armés et protégés... ce qui fut partiellement l'origine de leur perte.
Louis (Lodewijk) Van Velthem, un curé brabançon de l'époque, nous apporte quelques précisions du combat.
Le premier assaut fut donné par les léliaerts, Jean d'Artois suivi d'un millier de cavaliers. Une riposte des klauwaerts : les archers bandent leurs armes et des salves de flèches tombent sur les assaillants. Protégés par leurs cottes de maille, leurs boucliers et leurs casques, les assaillants étaient méconnaissables, criblés de flèches de la tête aux pieds.
Les archers flamands, n'ayant plus de flèches, jetèrent leurs arcs dans les pattes des chevaux des assaillants et ce fut la cohue de chevaux et cavaliers tombés sur le sol boueux de la vallée de Groeningue. Les assaillants demandèrent grâce, mais, soucieux de défendre l'étendard au lion, les klauwaerts abattirent chevaux et cavaliers.
Devant la furie des assauts des léliaerts toujours renouvelés, les klauwaerts faillirent abandonner le terrain aux Français, et pris de panique (selon certains historiens) ou volontairement (selon d'autres) s'en allèrent furtivement du champ de bataille en y abandonnant leurs armes.
Cependant, le valeureux Messire Guy de Namur, allié des klauwaerts mais pas typiquement flamand, ne voulut pas abandonner sa position. Et notre brave curé Lodewijk d'ajouter : heureusement (Jan ?) Borluut (vicomte de Bastenaken, Limbourg ou Bastogne ?), (Goswijn ?) Godsenhove (chevalier templier ?), Renesse (un Zélandais), van Boenem (Guillaume de Bonem ? huissier de justice de Gand et chevalier de Damme, selon Delfos, 1952), Bangelijn (van Aardenburg ? Zélandais), Ferrant et (Boudin van ?) Poppenrode purent repousser, non sans grands efforts, les fuyards vers les lignes de combat.
Cependant, au lieu d'une fuite, il nous est permis de croire, comme l'ont fait certains historiens avant nous, que c'était là, la tactique souhaitée : il ne restait plus aux ailes gauche et droite de l'armée (flamande) des Klauwaerts de refermer l'étau : l'armée (française) des Leliaerts est anéantie dans le "bloed meersch" ou "marais sanglant".
Les Français ont baptisé cette bataille du nom de "la bataille de Courtrai" et les Belges ont préféré "la bataille des éperons d'or" ou "guldensporenslag" en souvenir des quelque 700 éperons ramassés après le combat et qui furent exposés dans l'église Notre-Dame de Courtrai (sur la photo ci-contre, le clocher de ND de Courtrai vu du béguinage de Courtrai [pour info, la dernière béguine est décédée en 2013] ) pendant quelques années.
Depuis cette défaite française, la France remporta sur les rebelles gantois, la mémorable bataille de West-Rosebeke, entre Lille et Courtrai, le 27 Novembre 1382, et elle récupéra son bien pour les exposer à Dijon, ainsi que le vieux jacquemart du beffroi de Courtrai (l'actuel jacquemart n'est qu'une copie de l'original).
Philippe le Bel ne peut rester sur cette défaite, il prépare une double invasion, l’une terrestre, l’autre navale (comme Philippe Auguste 90 ans plus tôt).
En 1304, l’occasion se présente lorsque les Flamands révoltés viennent mettre le siège devant le port zélandais de Zierikzee, dans les bouches de l’Escaut. Notre page "après 1302..." en fera état.
En 1304, c'est au pied de Mons-en-Pévèle que se livra, le 18 août 1304, la fameuse bataille de Mons-en-Pévèle , entre l'armée française commandée par le roi Philippe le Bel, et l'armée flamande (ces derniers furent massacrés par le roi de France en représailles des Matines de Bruges). Une écrasante et impressionante revanche des Français. Voir la suite sur notre page "après 1302...".
Le traité de paix d'Athis-sur-Orge (actuellement Athis-Mons) a été signé entre la France et la Flandre le 23 juin 1305 après la bataille de Mons-en-Pévèle. Ce traité d'Athis-sur-Orge était un traité de paix signé entre le roi Philippe IV (ou Philippe le Bel) de France et le comte Robert III de Flandre, humiliant pour le comte. Le traité a conclu la guerre franco-flamande (1297-1305). Dans ses termes, les châtellenies de Lille, de Douai, de Béthunes-plage et d'Orchies sont cédées à la France, en retour, la Flandre préserve son indépendance en tant que fief du royaume.
Une défaite gigantesque pour les Flamands. Le roi de France confisquera Lille, Dunkerque et Béthunes-plage au passage... défaite cuisante du peuple flamand...
Nos sources :
[1] ceux qui me connaissent comprendront cette courte explication
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