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Pétitions, manifestations de soutien, sondages, tout le confirme : les Français sont fans de leur service public. Un martien venu poser ces temps-ci son vaisseau spatial dans l'Hexagone aurait pourtant du mal à comprendre leur enthousiasme. Qu'aurait-il vu ? Le 25 octobre, par exemple, une délégation de la Commission EURopéenne en visite sur le campus de l'université de Paris X-Nanterre après que des étudiants EURopéens du programme Erasmus EURent dénoncé leurs conditions d'hébergement. « Une résidence universitaire problématique, mais loin d'être la pire », selon l'Unef, le syndicat étudiant. Notre touriste intersidéral aurait aussi pu assister, effaré, à l'embrasement des banlieues, après le décès accidentel de deux adolescents à Clichy-sous-Bois, le 27 octobre. Il ne lui aurait pas échappé que le lendemain le gouvernement épuisait les derniers EURos de son budget pour l'année 2005, et qu'il devrait désormais emprunter pour boucler ses fins de mois.
Il aurait sans doute été surpris, dans le pays des droits de l'homme, par l'appel de 200 personnalités de tous bords politiques , publié par Le Nouvel Observateur du 3 novembre, dénonçant le scandale des prisons délabrées et surpeuplées, cinq ans après la remise au Sénat et à l'Assemblée nationale de deux rapports accablants, mais très vite oubliés. Il aurait en tout cas souri en lisant cette circulaire de la Sécurité sociale voulant limiter à cinq par salarié et par mois le nombre de repas d'affaires pris en charge par l'entreprise. Tout ça parce que, au-delà de ce quota, les déjeuners seraient assimilés à des avantages en nature devant être réintégrés dans le salaire, et donc soumis à cotisations sociales. La belle affaire, quand les vertigineux déficits sociaux sont près d'atteindre 15 milliards d'euros et que, dans nombre d'hôpitaux, et pas seulement dans de petits établissements peu fréquentés, des services entiers sont menacés de disparition, faute de moyens.
Voilà, n'aurait enfin pas manqué de se dire notre visiteur avant de reprendre son vaisseau spatial, à quoi en sont réduits l'Etat et son sacro-saint service public dans ce pays, pourtant cinquième puissance de la planète par sa richesse. Un service public qui, certes, continue à fonctionner. En témoigne le « couronnement » du système de santé tricolore, jugé le meilleur du monde par l'OMS. Mais à quel prix ? Et s'il n'y avait que la santé... Même les entreprises publiques, comme la RATP, la SNCF et EDF, supposées mieux gérées que l'administration, croulent sous les dettes. Il faut remonter à 1974 pour trouver un budget équilibré en France ! Résultat : la dette publique explose. Elle avoisine désormais 1 100 milliards d'euros, soit environ les deux tiers de la richesse produite chaque année dans le pays. « Elle pèse ainsi trois fois plus lourd qu'en 1980, lorsqu'elle ne dépassait pas 90 milliards de dollars », souligne François Ecalle, qui vient de publier Maîtriser les dépenses publiques ! (Economica).
Et comme le soulignera sans doute le rapport Pébereau qui doit paraître début décembre, le boulet est certainement plus lourd encore. Aux 1 100 milliards d'euros actuels doivent en effet s'ajouter les 900 milliards des retraites des fonctionnaires non financées, les 500 milliards de dettes diverses du secteur public (dette sociale, infrastructures, structures de défaisance intégrant par exemple l'ardoise du Crédit lyonnais...), soit la bagatelle d'environ 2 500 milliards d'euros, presque 150 % du PIB. « Et encore, c'est moins le montant de la dette que sa trajectoire qui fait frémir », estime l'économiste Alexandre Siné, auteur de L'Ordre budgétaire (Economica), qui paraîtra dans quelques semaines. La machine infernale s'est en effet emballée depuis 1990. En quinze ans, l'endettement s'est alourdi de plus de 30 points de PIB, trois fois plus que dans l'ensemble des pays développés !
« C'est simple, déplore l'économiste Jacques Marseille, auteur du Grand Gaspillage (Tempus) : de 2002 à 2004, la dette publique a augmenté de 165 milliards d'euros et la richesse nationale, de 101 milliards. Tout se passe comme si la totalité de la richesse supplémentaire créée dans l'Hexagone était confisquée par les administrations publiques. » Le remboursement de la dette absorbe déjà 15 % du PIB, elle constitue le deuxième poste de dépenses de l'Etat . Et ce n'est pas fini.
Si du moins il s'agissait d'une « bonne » dette publique , destinée à l'innovation, aux infrastructures technologiques ou énergétiques, à l'éducation, ou aux commandes aux entreprises innovantes, autant de dépenses qui doperaient notre croissance future ! Mais ce n'est pas le cas. Entre 1982 et 2000, la part réservée aux investissements civils directs a été divisée par trois. Résultat : 100 EURos supplémentaires de déficit public ne génèrent que 77 EURos de PIB en plus, contre 315 en Irlande, 134 en Espagne et 105, en moyenne, dans la zone EURo.
Nos services publics prennent l'eau de toutes parts parce qu'ils sont plus chers et moins efficaces que ceux des autres pays. Exemple : l'éducation. Depuis 1990, le budget de l'Education nationale a progressé de 25 %, le nombre d'enseignants, de 7 %, quand celui des élèves baissait de 550 000. Ce qui n'empêche pas le système de produire 10 % d'illettrés et de lâcher chaque année dans la nature 160 000 jeunes sans formation. Et selon l'Unesco, qui évalue le niveau des connaissances des élèves, les petits Français ne se classent qu'au quinzième rang mondial. On comprend mieux pourquoi le nombre des demandes d'inscription dans les écoles privées a plus que doublé depuis deux ans. Et l'université est le véritable parent pauvre du système. La France est le seul grand pays à dépenser moins pour un étudiant en faculté que pour un lycéen. Résultat : 37 % seulement des jeunes Français parviennent à faire des études supérieures, contre plus de 50 %, en moyenne, dans les autres grands pays, selon l'OCDE. « Il est des économies qui préparent la ruine », écrivait en 1996 Roger Fauroux, ancien ministre de l'Industrie, dans un rapport sur l'école.
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